En route pour Versailles

Pour les voyageurs qui séjournaient plusieurs semaines à Paris à la fin du xvii^e siècle, le château de Versailles constituait une étape incontournable des lieux à visiter dans la région. Déjà à cette époque, la réputation de la demeure de Louis XIV n’était plus à faire. Versailles se situait à 4 lieues de Paris, soit 16 kilomètres (pour vous rafraîchir la mémoire sur les mesures de distance à l’époque, c’est par ici !), et il existait plusieurs moyens de s’y rendre. À partir de l’installation définitive de Louis XIV et de sa cour à Versailles en 1682, le transport de voyageurs depuis et vers Paris devint rapidement un marché très lucratif.

Au château, ce sujet est à l’honneur jusqu’au 25 février 2018 avec l’exposition “Visiteurs de Versailles” que nous vous invitons à découvrir !

Des moyens de transport divers

De la même façon que vous pouvez aujourd’hui vous rendre à Versailles depuis Paris de plusieurs manières (RER C, ligne N ou L, voiture ou vélo pour les plus sportifs), celui qui souhaitait aller à Versailles au tournant du xviii^e siècle avait à sa disposition, en fonction de sa bourse, différentes possibilités.

Si vous n’aviez pas la chance de posséder un véhicule personnel et que vous n’aviez pas le courage de vous y rendre à pied, un comptoir à Paris proposait différents types de moyen de transport. Il était situé rue Saint-Nicaise dans le quartier du Louvre , rue qui disparaîtra au xix^e siècle lors des transformations effectuées sous Napoléon I^er.

 

Première possibilité : le carrosse à quatre chevaux dans lequel quatre personnes pouvaient prendre place. Si vous étiez seul, il vous fallait trouver trois autres personnes avec qui voyager : le covoiturage avant l’heure (une sorte de Blablacarrosse en somme !). Le trajet coûtait alors 3 livres par personne (soit environ 45 €) et durait un peu plus de deux heures.

Deuxième possibilité, un peu moins onéreuse, mais moins confortable : vous pouviez choisir le carrosse à huit places pour la modique somme de 40 sous (soit environ 30 €).

Troisième possibilité, si vous n’aviez pas la chance de disposer d’une telle somme d’argent : il vous restait le Coche de Versailles où pouvaient s’entasser entre douze et seize personnes. Vous aviez le choix entre le coche suspendu (plus confortable) à 12 places et le coche non suspendu à 16 places. De Paris il fallait environ quatre heures pour rejoindre Versailles car, selon un auteur allemand, Nemeitz, les cochers avaient une fâcheuse tendance à s’arrêter dans toutes les auberges sur la route pour boire un petit verre. De plus, le coche n’étant pas couvert sur les côtés, les voyageurs étaient exposés aux aléas climatiques (vent, soleil, pluie) et à la poussière. L’avantage était que vous ne payiez que 30 sous pour le coche suspendu ou 25 pour le coche non suspendu (soit 18,75 € à 22,50 €). Cette solution vous revenait trois fois moins cher que le carrosse à quatre places.

Enfin dernière possibilité : si vous aviez le pied marin et l’envie de naviguer, un coche d’eau partait du Pont-Neuf à 8h le matin et vous embarquait pour Sèvres où il fallait poursuivre à pied jusqu’à Versailles. Vous n’aviez que huit kilomètres à parcourir et de grandes chances d’arriver les souliers crottés…

Une route encombrée

Des voyageurs de l’époque témoignent de la foule qui se pressait sur la route entre Paris et Versailles. Le flux de voitures dépendait évidemment de ce qui se passait à Versailles. Lorsque Louis XIV et sa cour s’installèrent définitivement au château, le trafic s’intensifia et Nemeitz parle alors d’une cinquantaine de voitures allant et venant entre la capitale et la résidence royale. Lorsqu’en 1715 Louis XIV mourut et que la régence du jeune Louis XV commença, la cour s’installa à Paris et Versailles fut déserté. Nemeitz nous raconte alors que seules quatre ou cinq voitures partaient chaque jour de Paris pour Versailles. En 1723, lorsque Louis XV décida de retourner à Versailles, le trafic reprit son essor. Les prix varient au cours de ces différentes périodes en fonction de l’évolution de l’offre et de la demande. Les tarifs cités ci-dessus correspondent aux années du début du règne personnel de Louis XV, soit les années 1720.

Un privilège et un marché lucratif

Tout le monde n’avait pas le droit d’être loueur de carrosses. L’autorisation devait émaner du roi, c’est ce qu’on appelait un privilège. En résumé, on vous donnait l’exclusivité d’une partie d’un marché. À partir du moment où le roi fréquenta de plus en plus assidument Versailles, une nouvelle institution vit le jour : l’entreprise des voitures à la suite de la Cour. Celles-ci faisaient exclusivement le trajet entre Paris et l’endroit où se trouvait le roi et sa cour, qu’il s’agisse de Fontainebleau, Saint-Germain, Compiègne ou Versailles. Avec l’installation définitive de Louis XIV à Versailles, toutes les voitures publiques qui circulaient entre Paris et Versailles furent dites privilégiées à la suite de la Cour et leur exploitation était entre les mains d’une seule personne. Par conséquent, il était interdit à toute autre entreprise ou particulier de louer des carrosses et de faire concurrence à celui qui possédait ce privilège. Si vous vous faisiez prendre, vous encouriez 500 livres d’amende (7 500 € !) et la confiscation de vos voitures et chevaux, pénalités très dissuasives mais qui n’arrêtaient pas pour autant les fraudeurs !

Petite histoire pour briller en société : le Coche de Versailles ou le carabas

Le Coche de Versailles, évoqué plus haut, était également appelé le carabas, surnommé ainsi d’après le nom du marquis de Carabas. Souvenez-vous, celui des contes de Perrault… ! Dans Le Chat botté, à la mort d’un vieux meunier, le plus jeune des fils reçoit un chat doué de parole qui le dissuade de le manger pour lui faire profiter de son intelligence. Par la suite, l’animal, présentant son maître à tous comme le marquis de Carabas, réussit par sa ruse à lui faire acquérir la fortune, un château et la main de la princesse du royaume (rien de moins !). Le jeune homme devient grâce à lui le marquis de Carabas. Le coche de Versailles, inconfortable, sale et misérable, était surnommé ironiquement “carabas” en référence à la pauvre condition du fils du meunier.

Et pour finir, une citation de Louis-Sébastien Mercier sur le carabas dépeignant les conditions de voyage de ceux qui l’empruntaient :

“Quand le carrabas chemine sur la route royale, le leste équipage, passant comme l’éclair, le regarde en pitié. Ce carrabas n’a pas l’air de conduire les gens à une cour brillante. S’il fait soleil, vous y arrivez grillé ; s’il pleut, vous êtes trempé comme une soupe. C’est dans cet état qu’on débarque les Parisiens empressés de voir la majesté du trône, devant le château magnifique & et la grille dorée du riche souverain.”

Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, tome 6, 1782-1788.

Vous savez maintenant comment vous rendre à Versailles, bienvenus au château ! Dans un prochain billet, je vous parlerai de ce que vous pouviez y voir et des personnes que vous pouviez y rencontrer. Patience !

Si vous souhaitez en savoir plus sur la route royale et les voitures publiques, je vous conseille ces lectures :

• Paul Fromageot, “Les voitures publiques à Versailles sous l’Ancien Régime”, Versailles illustré, 1900 (lien vers l’article).
• Joachim Christoph Nemeitz, Séjour de Paris […], 1727 (lien vers l’ouvrage).

Pour les conversions des sommes en euros, je vous invite a lire l’article de Wikipédia. La grille de conversion de la livre vers l’euro, selon qu’on la compare au prix du métal ou au pouvoir d’achat, reste un sujet qui fait débat parmi les historiens. Je vous invite donc à la prudence. Ce qui est sûr, c’est que vous pouviez manger dans une auberge “bas de gamme” (pain, bière, viande) pour 5 sous. Un aller dans le Coche de Versailles vous coûtait donc trois repas, ce qui était relativement élevé.

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